les kinegrams : fiche technique et mode d’emploi  

 

 

 

  Dénombrer l’indénombrable : a piece of

 

Définition

 

Les KineGrams – du grec kine « mouvement » et de l’anglais gram « outil / morphème grammatical » – sont des gestes permettant de faire comprendre la grammaire

 

Par grammaire, on entend :

 

1.       Le discours grammatical tenu par le professeur lorsqu’il analyse la langue et énonce des règles. Ce discours contient de nombreux termes techniques : « base verbale », « déterminant », « quantifieur », « voix passive », etc. Un grand nombre de ces termes sont « compliqués » pour les élèves, qui en ignorent souvent l’origine, la signification et l’usage. Gestes, regards et postures peuvent ici aider à « faire voir d’où viennent ces mots» et contribuer à « mieux en saisir le sens » :

 

 

      

                              

Déterminer vient tu latin terminare qui signifie « limiter »    Passif vient du latin pati « souffrir, subir » : le sujet subit l’action

 

 

    

 

                                                                Dénombrer des éléments  « un à un »                            « Saisir en bloc » un indénombrable (mass noun)

 

 

2.       Le mot grammaire désigne également le système de règles permettant de produire des énoncés dans une langue.  La grammaire « organise la vie des mots dans les phrases » (dimension syntaxique) et la « communication entre les gens » (dimension sociale). C’est elle qui permet de « construire et de faire circuler le sens » (dimension sémantique).  Grâce à la grammaire, on peut former et transmettre des messages « calibrés » qui sont « captés sans problème » par les autres.

 

Gestes, regards et postures permettent ici de « faire voir le fonctionnement des outils» et se « saisir le sens ». Au travers de petites scènes gestuelles, on crée des concepts visuels. A chaque construction correspond une ou plusieurs images. Ce procédé permet de mettre directement en relation les formes grammaticales avec des représentations ou des mécanismes, sans avoir à passer par la traduction ou l’équivalence. May est  un balancement (entre plusieurs options envisageables) ;  must « met la pression  (pour réaliser l’action) » ; will « fait surgir l’image du futur : c’est net, c’est sûr ! » ; ago permet de « reculer dans le passé et de compter les pas en heures, en jours, en mois » ; le présent simple est utile pour « poser des faits… tout simplement ! », etc.

 

 

    

 

                                                               May : balancement entre deux alternatives.                                     Must : force qui « met la pression »

      Who knows ? You may be right, you may be wrong.

 

 

   

 

                                      Will fait surgir l’image du futur, c’est net, c’est sûr               Will : on prédit (You’ll love it), on garantit (I’ll be there)

 

 

   

 

                                                        Ago : reculer dans le passé et compter les pas                       Présent simple : « on pose les faits, tout simplement »
                                                                                                                                                                             « On installe les choses dans la réalité »                                                        

 

Les KineGrams peuvent donc être considérés comme un essai de métalangue gestuelle : on utilise des mouvements pour analyser la langue. Leur simplicité et leur plasticité permettent une utilisation à tous les niveaux, de l’enseignement élémentaire à l’enseignement supérieur, selon les points abordés.

 

Principe

 

Un système d’analogies posturales, gestuelles et énergétiques est établi entre des mécanismes grammaticaux et des mouvements ou attitudes dans l’espace. Le –st du superlatif  permet ainsi « d’aller jusqu’au bout », « d’étirer au maximum », que ce soit « tout en haut » (the best) ou « tout en bas » (the worst) : 

 

   

 

                                                               Superlatif : tout en haut, the best                                        Superlatif : basculement des extrêmes, the worst                                        

    

Ferme ou léger, ample ou ramassé, forçant ou résistant, droit ou ondulant, chaque geste a sa forme, son style et son énergie. Le superlatif, qui est un jugement instantané et catégorique (« sans appel »), sera exécuté avec rapidité et assurance. En revanche, l’oscillation d’un may qui « balance » ou « avance avec prudence »,  devra être exécuté avec plus de douceur et de perplexité :

 

   

 

                                                  « Yes ? No ? Avec may on n’est sûr de rien »                           L’expression du visage et l’orientation du regard jouent

                                                                                                                                                            également un rôle important : More beautiful than… Better than

 

Le geste et la parole : KineGrams et LogoGrams

 

Les LogoGrams sont des « petites formules imagées », très « physiques » et « plastiques », qui traduisent le fonctionnement ou la valeur d’une construction au moyen de métaphores spatiales et corporelles :

 

 

                                                   Should « montre la bonne direction à prendre »

                                                              

C’est le LogoGram qui livre la clef du KineGram. Sans la « petite formule d’accompagnement », le geste n’est pas interprétable. C’est parce que as… as… est qualifié « d’équilibre parfait » que la posture suivante est prise :

 

 

 

                                                                 As…as… : « équilibre parfait »

 

Sur le DVD Grammar in Motion, les LogoGrams sont énoncés par Simon et Deborah, tandis que les danseurs accomplissent les KineGrams en synchronie. Cette explicitation du mouvement n’est cependant qu’une phase transitoire :

 

Deborah : As…asEquilibre parfait ! As good as, as big as

On est au même niveau !

 

Exécuter les KineGrams en classe de langue

 

1.       Appropriation par l’enseignant. Après les avoir étudiés sur le DVD, en mode « élémentaire » et « chorégraphié », après avoir écouté les remarques de Simon et Deborah, le professeur met au point sa propre version des KineGrams. Cette version est nécessairement plus sobre, schématique et resserrée que la version originale exécutée par les danseurs. Elle doit pouvoir être reproduite sans difficulté… et sans embarras.

 

Par exemple, regarder à gauche, à droite, autour de soi, en balayant l’espace avec une main, à hauteur de la taille pour signifier que Have you ever ? « invite à regarder partout dans sa vie ». Have you ever been to America ? Si on trouve l’expérience demandée, have signale qu’on la « possède » : Yes, I have. Comme on la « détient » on la tient dans ses mains et on l’exhibe. En revanche, « si on a cherché et rien trouvé » - No, I haven’t - on présente des mains vides :

 

 

    

 

                                      Have you ever ?                                                                    Have you ever… ? – Yes, I have                  Have you ever… ? – No, I haven’t

                        « Invite à chercher / regarder partout dans sa vie »                         « J’ai cherché et trouvé »                      « J’ai cherché, mais je n’ai rien trouvé »

 

2.       Etude d’un point de grammaire. Durant l’explication, le professeur exécute le KineGram et prononce le LogoGram. Ex. « Have you ever ? t’invite à regarder partout dans ta vie : Have you ever been to America ? Yes, I have. No, I haven’t !» Les rôles respectifs de ever et de have sont mis en valeur gestuellement : ever pour « parcourir toute sa vie », have pour trouver et rapporter « la chose faite » (been to America). La filiation (historique) entre le have de « possession » et le have auxiliaire du present perfect devient tangible. (Inutile de prononcer tous ces mots, bien entendu, la petite scène gestuelle étant suffisamment explicite).

 

 

     

 

Yes, I have                                                                  No, I haven’t                                                                                          

 

 

3.       Exploitations ultérieures. Une fois que la signification du KineGram a été établie, le LogoGram n’a plus aucune utilité et disparaît. On le remplace par des exemples très simples, prononcés en synchronie avec les gestes, qui continuent d’illustrer le mécanisme : Have you ever been to Paris ? Have you ever eaten Chinese food ? Have you ever met my friend Kira from Australia ? Yes, I have. No, I haven’t.  Si la disposition matérielle de la classe le permet, les élèves sont invités à répéter ou à produire des énoncés du même type, en exécutant le KineGram. Ce travail est idéalement adapté à un atelier de remédiation grammaticale. Une fois que le processus mental et la structure grammaticale correspondante on été « mis en place » gestuellement, le KineGram a rempli son rôle. S’agissant d’un artifice et non d’un mouvement naturel du corps accompagnant spontanément la parole, le KineGram n’a plus à être reproduit. En revanche, il sera possible de s’en servir ultérieurement comme une invitation à la production ou une consigne muette.

 

Exemple 1 : traduction de petites phrases grammaticales, avec indice gestuel

Tout en donnant la source française, le professeur exécute le KineGram correspondant à la structure anglaise cible. Le KineGram est ici utilisé pour « mettre sur la voie ». Cela permet de montrer qu’on ne traduit pas des mots mais une configuration (ce que les traductologues appellent « une situation-image »).

 

Tu devrais voir un médecin (bras et main montrant la bonne direction à prendre) > You should see a doctor

Désolé, mais je dois absolument y aller (une main menotte l’autre main) > I’m sorry, but I have to go.

Est-ce que je peux venir avec toi ? (balancement entre oui et non) > May I come with you ?

 

Exercice 2 : emploi de l’article zéro en anglais, là où l’analogie avec le français encouragerait *the + N

 

Option 1 : traduction. En donnant le français, on exécute le geste « saisir l’essentiel » correspondant à l’article zéro en anglais. La vie > life ; le sport > sport ; l’amour > love ; le destin > destiny ; la biologie moléculaire > molecular biology, etc. Le KineGram joue ici le rôle de tuteur.

 

Option 2 : on fait répéter une série de mots pièges en anglais, en produisant le geste de saisie globale pour signifier que c’est bien l’article zéro qui s’impose dans cette langue. Wood (le bois) ;  French society (la société française) ; breast cancer (le cancer du sein) etc. Le KineGram joue ici le rôle d’adjuvant. Il facilite l’intégration du mécanisme grammatical.

 

Exercice 3 : interactionnel avec constructions de scènes

 

Exemple 1 : « le mystère wh- »  en pair work. Le premier participant pense à un événement, invente une histoire ou crée une situation, présente ou passée, dans laquelle il y a un fait ou un action centrale, des actants, un moment, un lieu, une motivation. Le deuxième participant interroge à l’aide de Who, when, where, why, how. A chaque wh-question sa main part dans une direction différente, à la recherche du « bout d’info » qui manque. Son regard, interrogateur, reste néanmoins dirigé vers l’autre.

 

Exemple 2 : fixer une série d’actions au bout d’un chemin imaginaire. Il s’agit de déterminer s’il faut, si on peut, si on doit, si on a intérêt à y aller. Un élève joue l’énonciateur-source du jugement modal et produit le KineGram correspondant à should, can, may, have to, etc. L’autre doit deviner l’instruction, la prononcer et l’exécuter : I can go. Is that it ? So you think I should go / see a doctor, etc.

 

Exercice 4 : structural et gestuel

 

Exemple :  deux rangées d’élèves se font face. Les élèves de la première rangée produisent une série d’assertions simples, adressées à ceux d’en face, du type : You understand me,  don’t you ? You are Paul, aren’t you ? etc. A chaque énonciation, on « pose les faits » avec les deux mains, puis « on renverse et on revient ». Les jeunes enfants aiment beaucoup ce geste. Chaque partenaire, dans la rangée d’en face répond : Yes, I do. Yes, I am. Ou No, I don’t. No, I’m not. Le geste de confirmation peut consister à poser de nouveau le fait. Avec no, on écarte vivement les deux mains sur le côté. Des hochements, positifs ou négatifs de la tête, peuvent accompagner ces gestes.

 

A l’aide d’un tableau numérique ou d’un vidéoprojecteur, on peut aussi projeter quelques images statiques de KineGrams : captures d’écran de Grammar in Motion, photos ou schémas d’élèves produisant leur propre version du KineGram. Il s’agit ici de se servir du KineGram « figé » comme d’un stimulus visuel pour déclencher la production d’énoncés, durant des exercices.

 

Exemples :  travail sur l’expression du futur à partir des postures associées à will et à be going to ; travail sur les comparatifs et les superlatifs à partir de postures d’équilibre, de déséquilibre, d’étirement extraites du DVD ; travail sur la prétérition (incluant ago et les verbes irréguliers) à partir des torsions, regards, pas à rebours, etc.

 

Nota : le logiciel Screen Capture, téléchargeable, nous a semblé bien adapté pour opérer des captures d’écran à partir du DVD Grammar in Motion. Une version d’essai de ce logiciel est téléchargeable gratuitement, dans une version « basique » : http://www.infallsoft.com. Il existe d’autres produits comparables, payants ou non.

 

Incorporation, spatialisation et matérialisation du sens grammatical 

 

Les KineGrams et les LogoGrams s’emploient à traduire le sens grammatical dans un langage très physique. Pourquoi ? Parce que nous faisons constamment appel au corps, à la perception et à la motricité pour parler de choses abstraites dans la langue ordinaire : « voir » ce que quelqu’un veut dire (= comprendre), « avancer », « progresser » dans une discussion, « s’éloigner » d’une question, « sauter » au point suivant, « esquiver » un problème, « construire » une théorie, etc.  Ces perceptions et ces actions sont parfaitement imaginaires : personne ne « voit » le sens, personne ne « saute » vraiment d’une question à l’autre et ne « chemine » dans un raisonnement.  Pourtant nous évoquons sans cesse ce genre d’action ou de perception, lorsque nous parlons d’abstractions. Nous procédons de même lorsque nous parlons de nos émotions et de nos rapports sociaux : « forcer la main », « pousser au désespoir », « passer à l’action », « manipuler»,  etc. Toutes ces actions sont accomplies par ce que nous appelons le corps imaginaire / symbolique de la cognition.

 

Une étude statistique révèle que les organes les plus fréquemment sollicités sont les yeux, les mains, les jambes. Ces organes sont engagés dans des perceptions et des actions motrices imaginaires que nous représentons comme si elles avaient lieu « pour de vrai ». Le corps physique du danseur, du professeur, de l’élève est ainsi invité à jouer les actions du corps symbolique. Il « pose des faits (invisibles) » (mains), il « pousse à l’action » ou « retient d’agir » (mains), il revoit le passé (yeux), il montre la bonne direction à prendre (mains + jambes), etc.

 

 

                                                       

                                                 

                                                   Should montre la bonne direction à prendre
 

Plasticité symbolique du corps

 

Le corps humain peut tout symboliser. Deux personnes peuvent ainsi jouer deux vérités qui s’affrontent, deux théories qui se déchirent, etc. Il en est de même en grammaire : un corps peut représenter, à un niveau générique, un personne interagissant avec une autre, mais aussi l’esprit humain qui remonte le temps, ou encore une solide base verbale (walk) sur laquelle vient s’accrocher un petit affixe (-s/ -ed / -ing)  :

 

 

               

                                                               Base verbale + affixe

 

Espace / matière physique et espace / matière symbolique

 

L’espace qui entoure le danseur est un espace mixte, qui prend des significations multiples. Il y a d’abord l’espace physique objectif, dans lequel se meut le danseur, le professeur, l'élève. Selon les questions abordées, cet espace peut être investi d’autres significations : temporelles, conceptuelles, sociales, etc. Il devient alors symbolique, il figure autre chose que lui-même. Un personnage se tient debout (dans le présent), se penche (vers l’avenir) ou se retourne (sur son passé). L’espace représente ici le temps. Ailleurs, un personnage entraîne d’autres personnages vers une action, située là-bas, au bout d’un chemin invisible (let’s). L’espace représente ici le champ des actions possibles / envisageables.

 

 

   

        « Là, sous mes pieds, le présent »                      Let’s entraîne les autres vers l’action                                                

 

Les objets que les danseurs manipulent lorsqu’ils « posent des faits » (présent simple) ou lorsqu’ils mettent des éléments « en équilibre » (as…as…), les matières  qu’ils « saisissent en bloc » (indénombrables, article zéro) sont invisibles. Il ne s’agit pas d’entités ou de substances physiques qui seraient simplement suggérées, mais d’objets et de matières abstraites / symboliques :

 


                « Poser des faits »                                                            Life, beauty, nature
      « Comparer des éléments »                                        « Saisir l’essentiel » avec l’article zéro                     « Chercher une chose avec any ? »

 

Schématisme

 

La plupart des notions complexes peuvent être décomposées en « primitives » qui ont une forme schématique très simple. Ainsi, le schème de la balance (balance schema) opposant équilibre / déséquilibre  structure quantité de notions complexes dans le domaine de la vie mentale (« un déséquilibré »), de l’alimentation (« un régime équilibré »), de la finance et du commerce (« des comptes équilibrés »). Ce schème est inscrit dans notre expérience socio-physique du monde et porté par l’usage linguistique. Non seulement il « fait sens » pour tout le monde mais il est aisément représentable, en passant par des positions d’équilibre et de déséquilibre physiques. Si nous recrutons ce schème, à bon escient, pour expliquer un phénomène grammatical, nous sommes assurés d’être compris sans effort. Alors pourquoi s’en priver ? Pourquoi ne pas dire que  as… as… code un « équilibre parfait », tandis que more than et less than signalent un « déséquilibre » ?

 

 

 

                                                        Le schème de l’équilibre / déséquilibre utilisé

       pour conceptualiser le système de la comparaison

 

 

Les principaux schèmes exploités pour élaborer les KineGrams sont le path-schema (« to trace le chemin vers l’action », « can’t bloque le passage»), le force-schema (« must met la pression »), le container-schema, le link-schema.

 

 

 

   

 

                                                               To trace le chemin vers l’action                              Can’t place une barrière en travers du « chemin de l’action »

 

 

Conclusion : bouger pour expliquer

 

Il est naturel de gesticuler et de dessiner pour « faire comprendre des choses compliquées. » Bien qu’il s’agisse d’un artifice explicatif, les KineGrams exploitent ce principe naturel. Un protocole expérimental sur lequel nous travaillons actuellement devrait permettre d’établir que l’imagerie gestuelle proposée facilite la compréhension des notions grammaticales et l’assimilation des structures de base de la langue.

 

Face aux demandes exprimées par de nombreux formateurs, il est prévu de développer une approche kinegrammatique plus spécifiquement adaptée à l’apprentissage précoce de l’anglais à l’école élémentaire.